Le tumulus de Ravean
 
       Derrière la Maison Familiale Rurale, à quelques dizaines de mètres du village de Lohigou, se cache une importante butte de terre qui a donné son nom au champ qui la porte, "Parc an Dorguen" (Le champ de la butte). Cette butte n'a rien de naturel ; il s'agit là d'un monument funéraire, très ancien puisqu'il remonte à l'âge du Bronze, c'est à dire qu'il fut construit, il y a plus de 3000 ans.
       Si ce monument est aujourd'hui fermé et si aucun Plabennecois actuellement vivant ne l'a sans doute visité, nous sommes cependant en mesure de décrire ce qu'il renferme. En effet, il y a une centaine d'années de cela, un amateur de monuments anciens, M. Du Chatelier, originaire de Cornouaille, vint dans le Léon réaliser une campagne de fouilles. Les fouilles ne furent pas de la meilleure qualité. Le principe de l'antiquaire était d'arriver le plus rapidement possible au cœur de l'édifice et de récolter tous les objets se trouvant à l'intérieur. Les plans réalisés par Du Chatelier sont très approximatifs et la rigueur scientifique n'était pas son point fort.
Cependant, son rapport de fouilles a le mérite d'exister, quand on sait qu'un grand nombre de monuments mégalithiques ont été fouillés au siècle dernier, sans qu'il en soit resté la moindre trace écrite. C'est ce rapport que nous vous livrons ici. Il fut publié dans la revue annuelle de la Société d'Emulation des Côtes du Nord en 1882, et s'intègre dans un article intitulé "Exploration de quelques sépultures de l'époque du bronze dans le nord du département du Finistère".

Un propriétaire hésitant

Après avoir exploré de nombreuses sépultures à St Pol de Léon, Plounévez-Lochrist et Plouider, M. du Chatelier s'en vint à Plabennec où on lui avait signalé un magnifique tumulus. Le 7 août 1881, accompagné de l'abbé Le Jeune, vicaire à Plabennec, il se rendit à Pen ar C'hoat où il demanda au propriétaire du champ l'autorisation de fouiller le tumulus. Surpris que l'on s'intéresse à cette butte, le propriétaire refusa tout net et M. du Chatelier eut beau insister, il ne parvint qu'à se faire davantage confirmer ce refus. C'est M. le Jeune qui réussit à modifier l'attitude du propriétaire.

Celui-ci pensait que le tumulus renfermait sans doute un trésor et que, s'il laissait "l'étranger" le fouiller, il ne lui resterait rien de ce magnifique trésor. Il fallut toute la diplomatie de l'abbé Le Jeune pour faire comprendre au propriétaire que ce genre de monument ne renfermait généralement pas de trésors et que si, par hasard, on y trouvait quelque chose d'intéressant, on l'avertirait. Fort de ces garanties, le propriétaire accepta alors que son "trésor" soit exhumé, à condition toutefois que le monument soit rebouché une fois la fouille réalisée.

Au sommet une tranchée de 7 mètres de diamètre.

Dès le matin du 8 août, M. Du Chatelier, aidé de 8 ouvriers recrutés à Plabennec, se trouvait à pied d'œuvre : "le 8 août au matin, écrit Paul Du Chatelier, nous fîmes des sondages qui ne nous firent rencontrer aucune pierre. Persuadé que le tumulus recouvrait une sépulture construite sans galerie, je fis, avec une escouade de huit ouvriers, ouvrir au sommet une tranchée de 7 mètres de diamètre. Dès le soir, après avoir traversé une couche de terre argileuse de 3 m 60, nous arrivions à un amoncellement de pierres paraissant disposées à s'arc-bouter les unes aux autres et à former une voûte.

 

"Dans la couche de terre que nous venions d'enlever, nous avions rencontré quantité de charbons, plusieurs fragments de vases d'une poterie grossière brune ou rouge, des éclats de silex parmi lesquels quelques petits grattoirs, une pierre à concasser le blé et de nombreuses traces d'argile brûlée, preuve évidente de foyers allumés sur les lieux pendant la construction du tumulus. De plus, nous avions remarqué que les couches d'argile en contact avec l'amoncellement de pierres sont ferrugineuses et excessivement compactes, que, par suite, elles formaient autour de ces pierres une sorte d'enduit impénétrable et avaient empêché la terre de s'infiltrer entre elles. Cette argile a probablement été prise dans les prairies qui sont au pied du coteau sur lequel s'élève notre tumulus.

Après avoir dégagé les pierres de leur enveloppe, nous reconnaissons qu'elles forment un amoncellement d'environ 4 m 50 de diamètre. Sur quelques-unes nous remarquons des dépôts de cendres mêlées de charbon.

Au moyen d'une sonde, nous constatons au-dessous du sommet de l'amoncellement un espace vide de 1 m 70 de profondeur. De très grosses pierres placées sur les côtés soutenaient cette sorte de voûte et empêchaient l'écrasement qu'eut pu produire le poids de l'énorme masse de terre qu'elle portait."

D'enragés curieux

"Comme on le pense, tous les habitants du bourg s'étaient portés sur le lieu de nos fouilles ; aussi, le soir, quand je donnai le signal de la retraite, je fus obligé de laisser, comme gardiens de nos travaux commencés, mes deux fouilleurs habituels. La précaution ne fut pas inutile, car à peine m'étais-je éloigné que chacun descendait au fond de notre tranchée et voulait enlever les pierres mises à découvert et voir ce qu'elles pouvaient cacher. Mes hommes, menacés de coups, vinrent en toute hâte me prévenir et je fus obligé de revenir mettre bon ordre à cet état de choses. Je dus alors prendre le parti de faire camper mes deux fouilleurs sur le tumulus pour y passer la nuit ; d'enragés curieux revinrent à la charge, armés de pioches, mais ce fut inutilement."

Dans la chambre funéraire

"Quoiqu'un peu contrariés par la pluie, nous nous mîmes le lendemain matin à enlever les pierres découvertes la veille. Ce travail achevé, nous arrivâmes à une roche mesurant 2 m 70 sur 3 m 80. C'était la table recouvrant la sépulture que nous cherchions.

Depuis longtemps déjà nous faisions de vains efforts pour pénétrer sous cette table, lorsque l'un de mes ouvriers découvrit qu'un éboulement s'était anciennement produit dans un des côté des murailles sur lesquelles repose la table. Par cette ouverture, nous pûmes jeter un regard à l'intérieur de la chambre, qui était vide de toute infiltration de terre. Après y avoir pénétré, nous voyons que les quatre murs, construits en pierres maçonnées à sec, sont en assez mauvais état et qu'en plusieurs endroits ils n'ont pas conservé leur aplomb.

Les rangs supérieurs de ces murailles sont formés en grande partie d'énormes cailloux roulés, dont quelques-uns sont écrasés par le poids considérable et des matériaux amoncelés au-dessus. Cet état dangereux nous engage à faire venir un charpentier, pour bien étançonner les murailles avant de laisser pénétrer complètement nos travailleurs dans l'intérieur du monument.

La consolidation opérée, mes deux fouilleurs entrent avec nous dans la chambre funéraire, après s'être munis de bougies. Là, nous constatons, régnant au fond, tout autour de la sépulture, un trottoir ou banquette de 30 cm de large, formé par deux assises de pierres plates posées à sec l'une sur l'autre, et donnant ainsi au trottoir une hauteur de 30 cm au-dessus du sol de la chambre. Ce trottoir est recouvert dans toute son étendue d'une épaisse couche de bois pourri.

Cette chambre, orientée sud-est et nord-ouest, a été close à son extrémité sud-est après l'accomplissement des cérémonies de l'inhumation ; les pierres du mur nord-ouest étant enchâssées dans les murs latéraux, tandis que celles du mur sud-est ne leur sont que juxtaposées, nous ne pouvons avoir de doutes à cet égard."

  Les restes incinérés du défunt

"Nous avons alors commencé l'exploration de cette "celle" par son extrémité sud-est. Dès le début, nous avons reconnu que la sépulture a été creusée jusqu'au tuf du champ sur lequel se dresse le monument, et que sur le fond, soigneusement aplani, on a édifié les murs et les trottoirs. Cela fait, on l'a sans doute recouvert par sa table ; puis, ainsi que nous l'avons constaté, on a répandu sur le fond une couche de sable blanc de 15 cm d'épaisseur. Sur ce sable... a été déposé un lit de feuilles de chêne et par-dessus un plancher de chêne fait avec des morceaux de bois de 18 cm d'épaisseur. Les restes incinérés du défunt ont alors été apportés et déposés sur le plancher du fond, à l’extrémité nord-ouest du caveau, où nous avons constaté un large dépôt de cendres mêlées de fragments d'os et e charbon. En se retirant, quelque parent a placé au centre de la sépulture un vase en terre assez grossier, à deux anses, et près de lui deux petites lames triangulaires en bronze mesurant l'une 14 et l'autre 7 centimètres de long. Ces deux lames étaient posées l'une au-dessus de l'autre, entre des morceaux de bois dont nous n'avons pu les dégager, à cause de leur mauvais état de conservation.

Enfin, à l'extrémité sud-est, près de l'entrée, se remarquait un autre dépôt de cendres mêlées de charbon et d'ossements incinérés : peut-être les restes de victimes brûlées en l'honneur du défunt, au moment des funérailles. Ces divers dépôts ont été faits à l'intérieur de la sépulture avant de se retirer, et détail intéressant, des mains pieuses ont recouvert tous ces précieux restes d'un second plancher, sorte de plafond en madriers de chêne dont les extrémités reposaient sur le trottoir. En pourrissant, ce deuxième plancher s'est affaissé sur le fond, laissant ses extrémités sur le trottoir."

"Cette particularité d'un second plancher placé au-dessus des restes du défunt, pour les réserver des infiltrations du dehors, forme un détail tout nouveau, je crois, dans les sépultures du genre de celle qui nous occupe ; il en est un autre non moins intéressant que nous a montré l'examen des différentes parties du vase à deux anses que contenait cette sépulture : c'est qu'au moment de l'inhumation, ce vase a été recouvert d'une voile en fil de lin formant un tissu excessivement fin à fil plat.

Quelques fragments de ce voile sont restés adhérents à la partie supérieure du vase."

 

La sépulture à nouveau comblée
"La chambre totalement explorée, nous l'avons mesurée avec soin et nous avons trouvé, du fond à la table, 2 m 60, obtenus par 20 assises de pierres maçonnées à sec. Cette chambre mesure en outre 3 mètres de long à l'extrémité sud-est ; 1 m 74 de large, au fond, au-dessus du trottoir ; 1 m 34 de large sous la table et à son extrémité nord-ouest 1 m 74 de large au fond, au-dessus du trottoir, et 1 m 42 sous la table.
Ce n'est pas sans émotion que nous avons pénétré dans cette magnifique sépulture, restée close pendant tant de siècles, et ce n'est pas sans d'amers regrets que nous avons dû nous résigner à la combler, ainsi que la condition nous en avait été imposée. Peut-être, dans quelques siècles, quelque archéologue, curieux savoir ce que recouvre cet énorme tumulus, y pratiquera-t-il une nouvelle exploration, mais, arrivé dans la sépulture, il sera un peu déçu, en y trouvant quelques pièces de monnaies que nous y avons laissées pour constater notre passage".

       Le tumulus de Ravéan est actuellement protégé dans le cadre du P.O.S. de la commune de Plabennec. Il ne risque donc pas l'arasement comme cela est probable pour plusieurs autres monuments de ce type, même à Plabennec. Nous pouvons cependant faire quelques remarques : Le tumulus n'est pas facile d'accès, aucun chemin n'y mène. Il est dommageable de n'y trouve aucune explication et aucun schéma du monument.

 AR C'HORN-BAUD N° 1-1986

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