Chronique familiale de Plabennec
Par : Bernard Sparfel 
 

Ma grand-mère paternelle est née à Locmaria dans la maison qui se trouve juste à côté de la chapelle. Elle y a habité avec ses parents jusqu'en 1921 date à laquelle elle s'est mariée. Son père était né à Tréflez en 1865. Il fut le bedeau de la chapelle de Locmaria. Il la décorait de fleurs et y faisait le ménage. Sa mère était Marie-Gabrielle Caer, fille de Jean-Marie Caer.

(La chronique familiale qui suit a été écrite vers 1920 probablement par Jean-François CAER, prêtre, fils de Jean-Marie Caer et de Marie-Yvonne Herry. Jean-François Caër était un oncle (côté maternel) de ma grand-mère.

 - Petite remarque à propos de Jean-François Caer : prêtre, J.-F. Caer fut l’un des curés qui, en 1924, à la sortie du livre de Yves Lefebvre " La Terre des prêtres " - qui fit grand bruit à l’époque mais aussi une dizaine d’années plus tard lors de son adaptation théâtrale -, intenta avec une vingtaine d’autres curés du Léon un procès en diffamation contre l’auteur ; ils furent déboutés mais ceci est une autre histoire…
 - Cette chronique se situe à Plabennec, chef lieu de canton du Nord-Finistère.

 

PETITE NOTICE sur cette famille

d'après les souvenirs de :

MARIE-FRANÇOISE HERRY, fille de Jean-Marie (1823-1899)

 

Le premier ancêtre dont Marie-Françoise HERRY ait entendu parler s'appelait UGUEN (erreur de l’auteur : en fait il s’appelait Mao). Il maria sa fille à : DONVAL

Ce DONVAL, vers l'âge de 80 ans, gagna une maladie qui le conduisit au tombeau 4 ou 5 ans après, en gardant ses poulains à Parc ar Fourn durant la nuit, monté sur un têtard de chêne. A cette époque il fallait garder les bestiaux surtout durant la nuit par crainte des loups.

Donval maria sa fille Guillemette à : SIMON (Bernard)

qui était originaire de Keroriou. Simon avait promis d'apporter en dot la somme de 700 écus, qui pourraient valoir 6.300 francs d'aujourd'hui (1914). C'était un richard. Mais c'était aussi un vantard; ses ressources n'étaient pas aussi considérables qu'il le voulait bien faire croire; il ne put apporter que 500 écus de dot. Son beau-père, qui du reste n'avait pas bon caractère, en fut très fâché et vécut en mésintelligence avec lui.

D'après Marie-Françoise, SIMON vécut 20 ans à KERNEVEZ et mourut. Le vieux DONVAL qui vivait encore, maria, sa petite fille, Marie SIMON à L'HOSTIS, vers le temps de la révolution. A cette époque, il y avait à Lanveur des maisons construites en tourbe qui ont existé jusqu'à l'avènement de la, IIIe République, et qui étaient au XVIIIème comme au XIXème siècle, habitées par des MARZIN, dont j'ai connu le dernier dans mon enfance. Ces MARZIN firent le tour des villages environnants en 1795, pour soulever la population contre la République, à l'occasion du tirage au sort. Yves L'HOSTIS fut réquisitionné par les MARZIN et menacé de grands malheurs s'il ne marchait pas. La tradition a conservé le souvenir du lieu où il se trouvait quand il fut réquisitionné: il travaillait à Roz-Vilin ar Pont; (évidemment il y eut autrefois un moulin en cet endroit). Par peur des Marzin, L'HOSTIS se rendit au bourg le jour du tirage au sort; mais le plus tard possible. Il fit route par l'allée du Ruguel où il trouva des cadavres de soldats. Sur la place du bourg, près du cimetière, il remarqua aussi des morts. CORBET de Lambézellec, qui commandait le détachement de soldats, était parmi les tués. Épouvanté, Yves L'HOSTIS revint chez lui par des chemins écartés (Kergarec). Décidément, ce n'était pas un batailleur.

Ce L'HOSTIS acheta la ferme de KERNEVEZ, qui fut mise en vente comme bien national. Elle devait se rattacher à Lesquelen qui était un fief des seigneurs de Carman, fondus au XVIIIème siècle dans la famille de Maillé (en PLOUNEVEZ-LOCHRIST).- La tradition rapporte qu'Yves L'HOSTIS sonnait la Messe du dimanche dans la chapelle de Lesquelen, dont j'ai vu la tour dans ma jeunesse. (Elle est tombée le 5 Janvier 1884).

Donc à l'époque de la Révolution, L'HOSTIS avait acheté sa ferme pour 200 écus. Il l'avait payée au trois-quarts quand un prêtre de la paroisse passant dans le champ où L'Hostis ébranchait les troncs de chêne du talus, et ayant appris son acquisition, lui dit : " Ken distag eo hoc'h ene dioc'h ar baradoz hag ar scour a drouc'hit dioc'h ar vezen ". (Ce qui donne à peut prêt ceci : " Tu t’es autant séparé de Dieu que ces branches sont séparées de l’arbre ".)

Les Donval et les L'Hostis étaient d'honnêtes gens et de bons chrétiens, la vente fut résiliée. La ferme fut achetée par un LE GUEN de Landerneau, qui la loua aussitôt à L'Hostis, moyennant une redevance annuelle bien entendu et 200 écus de commission !

 

Yves L'HOSTIS, dit encore Françoise Herry, vécut 20 ans à Kernévez et mourut.

La Révolution avait ruiné sa famille par ses réquisitions en blé. Il venait des charrettes pour en saisir, jusque de SAINT-BRIEUC.

A certains moments, il n'y avait pas de quoi manger dans la ferme. La moitié des habitants se levait pour manger et travailler; l’autre moitié demeurait au lit... pour jeûner.

La richesse de SIMON s'en était allée, emportée par la tempête révolutionnaire.

Une fille de Yves L'Hostis se maria à un autre L'Hostis qui était un paresseux et ne fumait pas ses terres. A cause de lui, la famille ne se releva, ni sous l'Empire ni sous la Restauration. Il fut délogé par son beau-frère.

Jean-Marie HERRY, né à la Roche vers 1785 - peut-être à PLOUDIRY, où il avait des parents - et marié à Jeannette L'Hostis vers 1820, avait été sous les drapeaux en 1815. Après la défaite de Waterloo il rentra de Paris à Landerneau à pieds en six jours. On voyait bien que les soldats de NAPOLÉON étaient bien capables "de gagner des batailles avec leurs jambes" selon une de leurs expressions. En passant aux environs de Rennes, à son retour de Paris, Herry eut une rixe avec des prisonniers russes qui, eux aussi, rentraient dans leur patrie. Il ramena de l'armée un long fusil à pierre qui existait encore en 1875.

Il était tellement lourd qu'un jeune homme de 16 ans avait de la peine à l'épauler.

Lorsqu'il se maria, Jean-Marie Herry n'avait pour tout bien que ses bras vigoureux et quelques sous d'économie. Mais sa force était une richesse. Il était de taille moyenne, très large d'épaules, très vigoureux et très agile. A l'âge de 70 ans, il était encore capable de disputer le prix de la course, le jour de la fête de l'Empereur NAPOLEON III (15 AOÛT). Il mourut à l'âge de 79 ans, après avoir mis sa famille dans une petite aisance, grâce à un travail acharné.

Ici finissent les souvenirs de tante Françoise.

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Jean-Marie Herry eut cinq filles et un garçon qui mourut en bas âge. Ces cinq filles sont : FRANÇOISE, l'auteur du récit qui précède, GABRIELLE, MARIE-JEANNE (1829-1898), MARIE-ANNE (1855-1916) et MARIE-YVONNE (1836-1896). Ces deux dernières se marièrent à des CAER, originaires du Gouéroc. Les 5 autres restèrent célibataires. 

NOTICE SUR LES CAER

 

      D'après une tradition, les CAER seraient originaires du MORBIHAN. A l'époque de la Révolution, ils habitaient à Plouvien. Celui qui vint plus tard s'établir au Gouéroc s'appelait Guillaume et fut baptisé en 1800 dans une grange, peu de temps avant le rétablissement du Culte par NAPOLÉON 1er. Guillaume se maria, en premières noces, à une ABIVIN, dont il eut une fille, Marie CAER, qui se maria à GOULVEN LE GALL. Il se maria, en deuxièmes noces, au Gouéroc, à une veuve nommée LE GUEN. TREGUER. Il en eut des enfants, dont trois parvinrent à l'âge adulte : YVES CAER, 1833-1878, JEAN-MARIE, 1836-1918, et MARIE, qui se maria à Jean-Marie CREFF et mourut de la fièvre typhoïde, à Kerigoualc'h en GUIPAVAS, à l'âge de 59 ans.

En même temps que ses enfants, Guillaume CAER avait élevé des neveux issus de son frère Charles qui mourut jeune.

Guillaume CAER, qui était parti de très peu, laissait une petite aisance à ses enfants, grâce à son travail, à sa bonne conduite et à sa sagesse dans les affaires. Il mourut en 1875 d'une attaque d'apoplexie. C'était un homme de 1m 70, bien bâti et solide, à la différence de son père qui était petit et chétif, dit la tradition. Il était très religieux et jouissait de beaucoup d'autorité sur son entourage. Il avait été conseiller municipal quoiqu'il fut complètement illettré. (La Révolution avait détruit les écoles de l'ancien régime.

On cite de Guillaume CAER quelques anecdotes qui prouvent son esprit profondément religieux :

 - Les paysans avaient et ont peut-être toujours peur, la nuit, à cause des esprits malfaisants, des "paotred-ar-zabbat" et autres "viltansou", qui sont d'autant plus terribles que leur nature est moins connue. Lorsque quelqu'un de sa famille, enfant ou domestique, manifestait quelque inquiétude d'avoir une course à faire la nuit, Guillaume CAER lui disait : " Pourquoi as-tu peur ? N'es-tu pas baptisé ? " Dans sa pensée, le chrétien était au-dessus des atteintes de tous les esprits mauvais.

 -  En son temps, on battait le blé au fléau. C'était un rude travail. Ce nonobstant, les "grâces" du soir duraient fort longtemps. Les pauvres moissonneurs dormaient. Mais le vieux CAER (on l'appelait familièrement "ar C'haéric coz" ) les réveillait brusquement en leur jetant de l'eau froide sur la nuque.

L'aîné de ses fils, Yves (1855-1878) se maria en 1860, à Marie-Anne Herry de Kernévez. Il s'établit à Kernévez même. Mais pris de la nostalgie du Gouéroc, il y dépérissait, et dut rentrer à la maison paternelle. Son frère Jean-Marie, marié en même temps que lui avec Marie-Yvonne sœur de Marie-Anne et établi au Gouéroc, lui céda sa place et vint à Kernévez.

Yves CAER eut beaucoup d'enfants. Marie, morte à 16 ans; GABRIELLE, mariée à Marc GOURMELON, morte en 1902 ; FRANÇOISE, religieuse de St-Joseph de Cluny ; PHILOMENE, morte le 10 janvier 1896 de la tuberculose ; JEANNE, religieuse du Calvaire, morte à ANGERS en 1912 ; JEAN-MARIE; LOUIS; JEANNE YVONNE, religieuse de l'Immaculée Conception de Saint-Méen, sécularisée depuis les décrets du gouvernement français sous le ministère Combes.

Yves Caer était de haute stature et d'une grande adresse des mains. Il mourut à l'âge de 45 ans d'une fièvre typhoïde.

Son frère JEAN MARIE CAER vint s'établir à KERNEVEZ peu de temps après son mariage. Jeune et vigoureux, il se mit à défricher la ferme qui était, en trop grande partie sous landes. Mais dès qu'il avait amélioré sa ferme, le propriétaire haussait le prix du fermage. Ce nonobstant, il put élever et instruire convenablement une nombreuse famille composée de JEAN FRANÇOIS, qui est devenu prêtre le 10 août 1896 ; la même année envoyé comme auxiliaire des Pères Jésuites à l'école Sainte Geneviève à Paris, nommé le 9 AOÛT 1887 vicaire à SCAER ; le 26 MARS 1889, vicaire à Penmarc'h ; le 19 DÉCEMBRE 1892, vicaire à Guiclan où en 1904, il publia " Ar pevar aviel lakeat en unan " et, en 1906, " ar gelennadurez christen " ; le 15 OCTOBRE 1906, recteur de l'Ile Tudy, et le 22 FÉVRIER 1910, recteur de PLOUNEVEZ-LOCHRIST.

MARIE-FRANÇOISE, morte religieuse de l'Immaculée-Conception à Saint-Méen-le-Grand, dans l'Ille-et-Vilaine, le 15 AVRIL 1905.

YVES CAER, décédé à l'hôpital Saint Mandé à Toulon, d'une bronchite chronique ( 5 DÉCEMBRE 1887) lorsqu'il allait finir son engagement avec le grade de quartier-maître.

GOULVEN, marié à Philomène SCLEAR de Kerdanné, qui est décédée à Kernévez le 17 AOÛT 1896. Trois enfants, morts en bas âge.

MARIE GABRIELLE né en 1870, mariée à Paul Sénant.

JEAN-MARIE, décédé le 7 MAI, 1891, d'une bronchite tuberculeuse, âgé de 18 ans.

MARIE-YVONNE, mariée à Jacques Trébaol, de Traon-Bihan.

La mère de ces enfants qui était une femme tout à fait bonne humble, douce et dévouée, le 17 FÉVRIER 1896, à l'âge de 60 ans, après une longue maladie.

J'ai donc dit que Jean-Marie CAER, grâce à son travail, éleva une nombreuse famille. Au commencement, il fut aidé par ses belles-sœurs, Marie-Françoise, Marie-Gabrielle et Marie-Jeanne Herry qui étaient célibataires et demeuraient avec lui. Mais vers 1868, ces filles achetèrent au bourg de PLABENNEC une maison avec quelques terres y attenant, et elles allèrent y demeurer après la guerre de 1870. Jean-Marie CAER resta seul avec sa femme pour travailler sa ferme. En 1888, il remplaça la maison en chaume par l'actuelle qu'il paya en partie de sa poche. De temps en temps cependant ses belles-sœurs venaient l'aider. Le soir venu, lorsqu'elles filaient leurs quenouilles de lin autour du feu, elles racontaient les légendes de la ferme et du voisinage. Elles disaient que les lutins habitaient dans un trou creusé sous un vieux chêne, au bord de la route de Cléongar, que des " épouvantails " se montraient à Poul-ar-c'had, près de Keronarz, à ceux qui faute d'horloge pour savoir l'heure, se rendaient trop tôt à la messe matinale du dimanche, qu'un vieux prêtre, mort depuis longtemps, se montrait près de Groaz-prenn, demandant une messe pour sa délivrance. Après avoir entendu ces histoires et d'autres semblables, les enfants n'osaient plus sortir la nuit. 

Jean-Marie Caer eut affaire, entre 1870 et 1880 à de nombreux domestiques, qui tous savaient des histoires, qu'ils racontaient à la veillée. Les enfants étaient charmés par ces récits. C'était joie dans la troupe des enfants quand un domestique partait, parce qu'on attendait un nouveau qui sut régaler avec de nouvelles histoires.

Ah ! Le bon temps. Aujourd'hui, l'on ne fait plus que lire des journaux et l’on ne parle plus que d’accidents d'automobiles ou d’aéroplanes. Adieu les merveilleuses histoires qui ont charmé les imaginations d’antan ! Adieu les bottes de sept lieux, les manoirs enchantés, les métamorphoses, les voyages dans l’autre monde, les géants, les sorcières, les rois qui arrachaient des panais, et les laboureurs qui devenaient rois. L'on ne mangeait autrefois que du pain d'orge, l'on n'était vêtu que de grosses toiles, l’on ne voyageait que dans de petites charrettes, l'on ne dormait que sous le chaume ; la vie cependant était aussi joyeuse qu’aujourd’hui, parce qu'elle était enveloppée de plus de poésie. Le progrès de la civilisation se rachète par des ennuis inconnus aux temps antérieurs. Le Bon Dieu donne sa part de bonheur à toute génération qui passe ici-bas.

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Généalogie familiale

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