LE GLED

De nombreux documents anciens, tels les inventaires après décès, font mention de maisons couvertes de "gled" ou "gledz".

Aucun dictionnaire ne donne une définition au mot orthographié "gled", c'est un mot ancien et probablement régional, issu d'une mutation. Toutefois, par recoupements, recherches et par déductions, il est possible trouver une réponse satisfaisante en s'inspirant de l'évolution  du mot "bled" bien connu désignant le blé. 

Le mot "gled" est issu du latin  gladiolus (épée courte) et aussi gladius (glaïeul) à cause de la forme lancéolée des feuilles de cette plante. Ce glaïeul n'est autre que l'iris jaune des marais.  A la fin du XIe siècle, en ancien français, il se nomme "glaid" et vers 1160, "glai", en Bretagne c'est le "gled". Il désigne le glaïeul (iris des marais) jusqu'au XVIIIe s., plus tard au XIXe s. le "gled" est à la fois: iris des marais, carex (laîche), roseaux et joncs, c'est à dire, les végétaux de zones humides, servant à couvrir, maisons et dépendances. Le mot évolue en "glé" au XIXe s. et les maisons couvertes de végétaux deviennent des chaumières. Le chaume était bien connu autrefois, c'était le chaume du seigle, matière noble réservée à la toiture des petits manoirs et aux habitations.

Quand le "gled" (glé) désignait le glaïeul, le "bled" (blé) était un terme générique nommant vulgairement, le froment, le seigle, l'épeautre, le blé noir (sarrasin)...tous les grains dont on fait le pain. 

EXPLICATION

Il est évident, que la mémoire humaine est terriblement volatile. La généralisation des toitures en ardoise n'a pas plus de 150 ans, mais le reste de savoir des anciens est déjà réduit à l'état de bribes. Pour comprendre, il faut se projeter à l'époque de Louis XIV ou avant même : vous habitez sur une terre riche ou pauvre, vous êtes paysans ou artisans, vos déplacements se limitent à un rayon de quelques kilomètres, les moyens de transports sont nuls ou presque, les routes sont impraticables six mois de l'année et vous n'avez pas d'argent. Ceci est vrai partout en France et ailleurs. Vous êtes un Robinson sur un territoire étroit, l'autarcie est de rigueur. Le XXe siècle a tout bousculé et vite, il a fait évoluer : hommes, maisons, transports, communications et aussi la mémoire. Toutes les choses considérées comme non utiles et non rentables sont oubliées.  

Nous sommes au XVII-XVIIIe siècle, vous construisez une maison et ses dépendances, les matériaux sont sous vos pieds et autour de vous. Vous utilisez ce que le sol veut bien vous donner, de la pierre si elle est abondante, de la terre si la roche est absente de la surface. Pour la toiture, c'est la même chose, vous regardez autour de vous et selon la nature du terrain. Vous cultivez du seigle et vous vous réservez la paille pour le chaume de votre demeure, si votre propriétaire ne se réserve pas ce produit pour la couverture de son petit manoir et pour revendre le surplus. Alors vous utilisez ce que la nature environnante produit et que le bétail refuse obstinément de brouter. Il vous reste un arbrisseau qui est le genêt, sinon, les végétaux des terres humides non cultivables, les "gledz" (iris), les roseaux, les carex (laîche) et les joncs, mélangés ou pas, sont les chaumes du pauvre.  

Louis XV, en interdisant l'utilisation du chaume à cause des risques de propagation des incendies, a contraint les habitants à payer des matériaux plus coûteux et des transports plus longs et plus chers. Il a dû s'écouler beaucoup de temps avant que l'ardoise n'arrive dans la campagne de Ploudalmézeau. Soulignons que, le chaume fournit une protection contre le froid, bien supérieure à l'ardoise mais a une durée de vie moindre.  

CONCLUSION

Si le GLED est au moyen âge, un iris des marais, ce mot désigne rapidement des toitures composées d'iris, de joncs, de genêts, de roseaux et autres végétaux mélangés. Le mot "chaume" semble réservé à une matière plus noble et unique, comme la paille de seigle, ou les chaumes de roseaux non mélangés.

SOURCES & COMMENTAIRES

 

Dans sa thèse, Brigitte ARZUR (cote M-3656 au CRBC), cite des inventaires après décès où il est fait mention de : " de maison couverte de chaume et de gled" ( donc, le gled n'est pas chaume).

Il est dit aussi : "couvert de gled et de genêt" ; "chaumes, gleds, genêts, joncs ou écorces" ( donc, ce n'est : ni du chaume, ni du genêt, ni du jonc, ni de l'écorce).

A un autre endroit, un inventaire cite : "mulon de gledz de 6 L",  le terme "Mulon" est aussi un "Meulon" ou une "Meule" de gerbes de végétaux que l'on met en tas pour séchage ).

Le "Dictionnaire de l'ancienne langue française du IXe au XVIe" de GODEFROY, connaît le mot "Glé" avec un renvoi vers "Glai" et donne des variantes comme  :Glay, Gla, Glé, Gloi avec les définitions suivantes : Glaïeul, Carex ou Laîche, sorte de Jonc ou de Roseau, Herbe, Verdure.

Au mot suivant Glaiere : lieu où croît le glai, "la glaiere de la rive du fleuve".  Dans le dictionnaire d'Antoine  Furetière, le "Glai" est de l'Iris des marais appelé aussi "glaïeul jaune" mais aussi, il est question d'herbe que l'on nomme "Flambe" dite herbe des "bleds" avec un "B".

Les autres dictionnaires : citations

ÉMILE LITTRÉ

GLAI (glè), s. m. Mot usité en quelques localités pour signifier une masse de glaïeuls formant une île dans un étang. Que j'aime ce marais paisible ! Il est tout bordé d'alisiers, D'aunes, de saules et d'osiers, à qui le fer n'est point nuisible ; Les nymphes y cherchent le frais, S'y viennent fournir de quenouilles, De pipeaux, de joncs et de glais, ST-AMAND, dans LE ROUX, Dict. comique.

HISTORIQUE : XIIIe s. À cestui [auprès de celle-là] ne savons la montance d'un glai [glaïeul], Berte, LVII. XVe s. La flour du glay est plaisans et parfette, FROISS. Ballade.

ÉTYMOLOGIE : Provenç. glai, glais, glaïeul ; du latin gladius, glaive, par l'assimilation qui se trouve dans gladiolus, glaïeul. Cependant on a indiqué le celtique : bas-breton, glâz, vert ; kimry, glâs ; irl. glas ; mais l's celtique ne se retrouve pas dans le glai roman ; ajoutez qu'on trouve glager, couvrir de glaïeuls, joncher, où le second g indique gladius.

LA CURNE DE SAINTE-PALAYE (1697-1781)

Glai, Glaie. [Formes féminine et masculine de glai, glaïeul : " A cestui ne savons la montance d'un glai. " (Berte, c. 57.) - " La flour du glay est plaisans et parfette. " (Ballade de Froiss.)]

ANTOINE FURETIÈRE (1619-1688)

Glayeul. s. m. Herbe qu'on nomme autrement Flambe. Il y en a des jaune de rivière, ou de marais. Elle est pourtant plus petite & plus estroitte que la flambe, & pointuë comme une espée, pleine de nerfs & de veines. Ses fleurs sont rangées en un bel ordre. Sa graine est ronde, & sa racine double. Matthiole l'appelle l'herbe des bleds, parce qu'elle y croist de la hauteur d'une coudée sur une tige pleine de jus. Il y a aussi un glayeul sauvage, qu'on appelle Spatula foetida, à cause qu'il est puant. Ce mot vient de gladiolus. Nicod. On l'appelle aussi Iris.

LE ROBERT : Dictionnaire historique de la langue française -2006

Glaïeul. ".......Le mot est issu du latin gladiolus <<épée courte>>et aussi glaïeul à cause de sa forme lancéolée des feuille de cette plante. L'adjectif latin est dérivé de gladius <<épée>>, <<glaive>> qui avait probablement déjà pris, en bas latin, une acception botanique ; d'où l'ancien français glaid <<Glaïeul>> (fin XIe s.), glai (v.1160)...."

ANTOINE OUDIN (né vers la fin XVIe- mort en 1653)

Bled :  Manger son bled en verd ou en herbe, i. " manger son bien ou revenu avant que de l'avoir receu. " Il est pris comme dans un bled, i. " asseurément pris ou attrappé, " vulg. Il ne s'enqueste pas que vaut le bled au marché, i. " il n'a point de soin ou de prévoyance. "

Documents divers

GUIDE DES PLANTES SAUVAGES  ( Édition Sélection)

Iris des marais : 
Iris pseudacorus L.
Famille des Iridacées
Autres noms communs : Iris faux Acore, Iris jaune, Flambe d'eau, Glaïeul des marais, Flambe bâtarde, Fleur de glais

"'Iris des marais est une grande plante eurasiatique et d'Afrique du Nord dont les superbes fleurs jaune vif et presque inodores s'épanouissent par deux ou trois sur une hampe rigide de plus de 1 m de hauteur, dans les prairies humides et au bord des rivières..."

Une légende ?

"Iris signifie « arc-en-ciel ». C'était, dans la mythologie grecque, le nom de la messagère des dieux qui portait les messages divins dans le ciel, sur la terre et au sein des eaux, il est d'une grande beauté, l'Iris a été pris comme emblème par le roi Louis VII qui partait en croisade. Et c'est ainsi que cette «Fleur de Loys (Louis)» est devenue la fameuse «fleur de lys» de la couronne de France". 

Il ne faut pas prendre ce passage pour une vérité, l'origine du symbole royale est moins poétique et plus ancien, sans remonter aux Celtes et à l'antiquité, ce motif il n'a rien à voir avec une fleur. En  héraldique il n'est pas classé dans les fleurs, mais dans les armes et porte de nom de "fleurdelys" (en un seul mot), il désigne le fer de lance, l'Angon des Francs avec deux crochets.

La suite

PETITS MÉTIERS D'AUTREFOIS  ( M.E. Gueguen et G.M. Thomas)

Couvreurs de glé

".. pendant bien longtemps, les toitures furent en glé, ces iris sauvages des bords des ruisseaux, ou mieux, en paille de seigle."
".... dans les comptes de fabrique de la paroisse de MILIZAC, pour l'année 1725, la note suivante: payé pour une charrette de gleds en jons pour couvrir la maison où demeure Suzanne MONOT "

"Mais les nombreux incendies obligèrent le Roi lui-même à intervenir pour que l'ardoise remplace glé et paille".

 

Des "Bréhatins préparent le "Glé" pour les toits de chaumes", photo probable de la fin XIXe, début XXe. où il est bien difficile de définir la nature exacte de ce "Glé".

TIEZ - LE PAYSAN BRETON ET SA MAISON (Jean-François SIMON) 

"Les documents d'archives du XVIIIe mentionnent des bâtiments couverts de gledz ou de genetz. Si le mot genetz ne laisse planer aucun doute quant à la nature du matériau employé, la signification de gledz est plus obscure. D'après Limon, les «gleds ou gles sont des pieds de chaume». Il ajoute : « De là vient que, dans certains cantons, on coupe à moitié hauteur le chaume, quand on veut se réserver de la paille non battue pour les toitures." 

Cette définition semble restrictive, J. P. P. A.  Limon était juge au Tribunal civil de Brest,  il a recueilli les usages et règlements locaux en vigueurs dans le département du Finistère vers 1850. Dans ce document il parle de pieds de seigle et il écrit : " Quant aux glés ou gluis, le fermier sortant doit le laisser sur pied, à moins de convention contraire. On les considère comme une espèce d'engrais ou de préparation pour les semences  ultérieures."...l'arrachement du chaume nuit beaucoup en le privant (le sol) de ce qui reste de force productrice." La paille de seigle a plusieurs usages " litière et nourriture pour les bestiaux, soit pour garnir les paillasses des lits, soit pour rempailler les chaises et faire des chapeaux, soit enfin pour la couverture et la confection et l'entretien de couvertures : dans ce dernier cas, on emploie exclusivement la paille de seigle ;" Cette dernière affirmation pose problème, d'un côté, il faut conserver le maximum de paille sur le terrain et d'un autre, son utilisation semble importante. La toiture de l'habitation de l'agriculteur est probablement en précieux chaume de seigle, quant aux dépendances, c'est un peu moins sûr, sinon les inventaires après décès ne mentionneraient pas les divers matériaux utilisés. Sachant que les mots évoluent aussi au fil du temps, il faut se poser la question suivante : les "glés" de 1850, désignent-ils exactement la même chose qu'en 1650 ? 

" D. Bernard explique que les couvertures végétales du Cap-Sizun «sont parfois mêlées de gleds, joncs ou iris des marais»." 

C'est une explication mais "de gleds" n'est plus iris..

 "Enfin, d'après G.I. Meirion-Jones (1982), le mot gled désignerait une couverture de paille et de mortier de terre entremêlés." 

Là, c'est plus que douteux, nous sommes plus proches du pisé ou torchis convenant bien à la construction d'un mur abrité de la pluie, ou alors, il s'agit effectivement de pieds de chaume de seigle arrachés avec une motte de terre, c'est contraire aux usages mais possible.

Michel Mauguin -11/2006 - mis à jour  10/2008

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