PLABENNEC à la Révolution.

     En 1789, à la veille de la Révolution, Plabennec est une simple paroisse comme les autres, située sur le "Grand Chemin" de Brest à Lesneven.

Ce qui frappe au premier abord, c'est la taille de la paroisse. En effet, elle compte alors plus de 5200 hectares, ce qui la place parmi les plus grandes paroisses de l'évêché du Léon. Des villages qui à l'heure actuelle se trouvent dans les communes avoisinantes, se trouvaient alors à Plabennec. C'est le cas de St Elven (aujourd'hui à Kersaint) ou de Kergontes et du Mendy.

En 1789, forte de tous ces villages, la paroisse de Plabennec comptait environ 3500 habitants. Vers 1778, le dictionnaire historique et géographique de Bretagne donnait 3300 communiants pour Plabennec. Cela fait donc une forte population, car à cette époque, Brest ne comptait que 20 000 habitants environ, Landerneau 3500, et Lesneven moins de 2000. Mais Plabennec n'était point considérée comme ville, ayant peu de population agglomérée.

La principale activité de la paroisse était l'agriculture. Sur les 3500 habitants, 3300 environ habitaient la campagne et 200 le bourg. Ce bourg, ne ressemblait d'ailleurs en rien à ce que l'on peut voir de nos jours. Que pouvait-on y trouver ? Quelques auberges et maisons d'artisans resserrées contre l'église et son cimetière. Les voyageurs qui à cette époque, traversaient le bourg de Plabennec ne signalaient que quelques maisons au toit de chaume, pauvres et mal entretenues. Le seul monument digne d'attention était l'église reconstruite au début du siècle (commencée en 1720 et achevée en 1723), car d'après le recteur de l'époque, M. Noël Léon, l'ancienne église était devenue trop petite. Cela montre bien qu'il y eut un essor démographique dans la première moitié du 18e siècle.

En dehors du bourg, la population s'affairait dans les campagnes, à cultiver la terre ou à faire tourner les moulins. On comptait environ vingt moulins à blé vers 1789.

Cette population rurale ne vivait pas dans le luxe le plus généralement. Si les terres étaient assez riches, les rendements à cette époque ne l'étaient pas. On ne pouvait enrichir le sol que de fumier et un peu d'engrais marin venant de l'île de Sein, de Kerlouan ou Tariec.

Ogée, dans son dictionnaire de 1778 déclare : "Plabennec est coupée par un grand nombre de vallons dans lesquels passent des ruisseaux. On y voit des terres fertiles en grains de toutes espèces, d'excellents pâturages et peu de landes". Par contre, on ne trouve ni fruits, ni légumes. Si Ogée déclare qu'il y a peu de landes, il ne faut pas oublier que vers 1789, un tiers des terres était inculte, soit environ 1800 hectares. Alors, comme les rendements étaient faibles, que les impôts seigneuriaux, royaux et religieux représentaient une lourde charge, beaucoup de paysans se firent tisserands dans leurs heures creuses. Ils cultivaient le lin puis le tissaient. Les pièces ainsi produites étaient alors achetées par des marchands de Landerneau qui le plus souvent les exportaient vers la Grande-Bretagne ou bien l'Espagne, en passant par Morlaix. Mais généralement les bénéfices faits par les paysans étaient faibles.

Donc, dans son ensemble, la population de Plabennec à la veille de la Révolution, était une population assez pauvre et cette pauvreté engendrait la mendicité. Celle-ci, touchait environ 10% de la population soit environ 350 personnes gagnant leur vie en allant de maison en maison quêtant un morceau de pain ou un morceau de lard.

D'autre part, les récoltes furent très mauvaises dans les années 1788 et 1789 suite à de mauvaises conditions climatiques. Il est donc assez normal que la Révolution ait été bien acceptée par la population. En fait, celle-ci était prête à une redistribution des pouvoirs, qui aurait entraîné une redistribution des richesses. C'est cette redistribution des pouvoirs qui fut faite en 1789.  

La Révolution

Le 5 mai 1 789, à Paris, s'ouvre la séance des États Généraux du royaume de France qui devaient régler le déficit du royaume.

Le 17 juin, sous l'impulsion du Tiers État, cette assemblée des États Généraux se transforme en assemblée Nationale Constituante malgré l'opposition du roi et de la noblesse. La Révolution commence.

Comment cela s'est-il traduit dans les faits à Plabennec, et quel rôle a-t-elle pu jouer dans la Révolution ? On a trop tendance à penser que l'histoire est l'affaire des villes et des capitales.

Le premier changement visible est le passage du statut de paroisse au statut de commune. Ce changement est effectué le 28 décembre 1789. Désormais, Plabennec doit se doter d'un conseil municipal et d'un maire. Cela semble se passer sans problème. Les petites gens à cette époque sont plus préoccupées par les problèmes agraires que par ces remaniements.

Une des décisions de la Révolution passant pour une grande victoire, fut la redistribution des "communs" (grands champs dans lesquels tout le monde pouvait envoyer ses troupeaux) au profit des paysans. Ce fut une victoire, car à la fin du 18e siècle, les propriétaires nobles ont tenté de s'accaparer ces "communs".

La Révolution, c'est la fin de la toute puissance des nobles dans les campagnes. Ceux-ci commencent à prendre peur et plusieurs préfèrent s'en aller en ville ou même à l'étranger. C'est le cas notamment des propriétaires du manoir de Kerbrat-Locmaria, la famille noble des Moucherons. A partir de ce moment, le manoir est devenu propriété nationale et il fut racheté ensuite par un ancien soldat de Brest.

Un autre changement fut la création du département du Finistère et de cantons en 1790. Ainsi désormais, Plabennec faisait partie du district de Brest et devenait chef-lieu de canton. Les autres communes du canton de Plabennec étaient Gouesnou et Loc-Brévalaire. Ce canton n'avait donc rien à voir avec l'actuel canton. D'autre part Kersaint faisait partie du canton de Guipavas avec La Forêt (Landerneau). Plouyen (Plouvien) était incorporée au canton de Lannilis avec Landéda et Broénou (territoire au sud de Landéda). Le Drennec faisait partie du canton de Ploudaniel avec Landouzan et Bréventoc. Ces deux dernières communes sont depuis le 19e siècle rattachées au Drennec. Ces changements ne posèrent pas de problèmes majeurs. 

Les troubles religieux 

En fait jusque là, le peuple de Plabennec et des environs était plutôt favorable. Tout alla à peu près bien jusqu'au mois de juillet 1790. En effet, le 12 juillet 1790, fut publiée une série de décrets sur la Constitution Civile du Clergé. Cette constitution prévoyait que désormais l'église de France serait indépendante du pape ; que les évêques, abbés et curés seraient élus par le même corps électoral qui élisait les membres des assemblées départementales. Or dans ces corps électoraux pouvaient aussi bien se trouver des catholiques que des athées. D'autre part, il était décidé que désormais, il n'y aurait plus qu'un évêché par département, et que le siège de cet évêché se trouverait dans la ville préfecture.

La Constitution Civile du Clergé fit l'effet d'une bombe. Dans le Léon, le clergé fut résolument contre.

L'évêché de Léon n'existait plus et l'évêque de St Pol, monseigneur de la Marche n'avait plus qu'à se démettre. Or celui-ci était très populaire dans son évêché et avant la Révolution, il était très souvent montré comme exemple dans le clergé. L'évêque du Léon réagit aussitôt et envoya une "lettre circulaire" à son clergé pour le mettre en garde contre la Constitution Civile du Clergé. Il fut pour cela dénoncé par les révolutionnaires brestois.  Le 27 novembre 1790, un nouveau décret obligea les évêques, curés et autres ecclésiastiques à prêter serment "d'être fidèles à la Nation, à la Loi, et au roi, et de maintenir de tous leurs pouvoirs la Constitution décrétée par l'Assemblée Nationale et acceptée par le roi... sous peine d'être poursuivis comme perturbateurs de l'ordre public" s'ils refusaient de prêter serment et voulaient continuer leur ministère.

A cette date M. Jestin était recteur de Plabennec. Il avait comme vicaires : Ms Kerangueven, Quénéa, et Abernot, ce dernier originaire de Plabennec. Le clergé de Plabennec réagit également à la Constitution, le 30 janvier 1791 M. François Jestin, en chaire, refusa alors publiquement le serment à la Constitution Civile du Clergé. Après avoir exhorté son auditoire, profondément ému, à respecter l'autorité temporelle, à aimer le roi, il motiva son refus du serment par les considérations suivantes :

- Il est de foi qu'à l'église seule, c'est-à-dire au pape uni au corps des évêques, appartient le gouvernement de l'église.

- Il est de foi qu'elle seule, et non pas à une assemblée politique, Jésus-Christ a dit : "Ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel".

- Il est de foi qu'aucun pasteur ne peut tenir sa juridiction que de l'église.

- Il est de foi que les évêques sont seuls juges en ce qui concerne la foi, les mœurs, la discipline, et que, par conséquent, les pasteurs du second ordre ne peuvent dicter des décrets en cette matière.

Et, M. François Jestin continua : "Ces principes sont méconnus ou attaqués dans les différents décrets de la Constitution Civile du Clergé. Je trahirais donc ma conscience, je deviendrais apostolat de la foi, en souscrivant au renversement de ces vérités catholiques. Non, ni la soif, ni la faim, ni le fer, ni la pauvreté, ni l'aspect de tous les dangers dont je suis environné, ne m'arrachera jamais un serment que la religion catholique, apostolique et romaine, me défend de prononcer. Tout mon clergé pense comme moi".  Les vicaires se levèrent à ce moment et refusèrent à leur tour le serment.

Il se passa alors une chose étonnante dans l'église. M. Jestin ayant tant de conviction dans sa déclaration, qu'un des officiers municipaux de Plabennec, puis les autres à la suite, s'associèrent publiquement au refus du serment. Plusieurs centaines de voix s'élevèrent alors pour traduire le même sentiment. On ouvrit les portes de l'église et ceux qui étaient d'un avis différent furent priés de sortir. Personne ne quitta l'église, et cette unanimité fut l'expression authentique de la volonté générale de la commune.

Le recteur resté en chaire, assura ses paroissiens qu'il ne cesserait pas et qu'il ne pouvait pas cesser d'être leur pasteur, et qu'ils le trouveraient, lui et son clergé, disposés à leur rendre le secours de son ministère. Il termina son sermon par une prière pour le roi et l'Assemblée Nationale. Dès qu'il fut entré à la sacristie, plusieurs paroissiens vinrent l'embrasser et le féliciter d'avoir préféré les intérêts de sa conscience aux intérêts temporels.

Nous avons vu qu'il semblait y avoir unanimité dans la population contre le serment. Cependant, il devait au moins y avoir une personne dans l'église ce dimanche là qui était pour, car le même jour, M. François Jestin fut dénoncé à Brest, pour avoir attaqué en chaire la nouvelle constitution du clergé. Le dénonciateur déclara à Brest : "A moins de sonner le tocsin de la guerre civile, on ne peut être plus criminel"

Évidemment, les autorités ne pouvaient pas laisser les choses continuer comme cela. Un recteur, cela a trop d'importance dans une commune rurale à cette époque. Aux yeux des autorités, il convenait donc de l'arrêter. Le 27 février 1791, en pleine nuit, M. Brichet, procureur syndic du district de Brest, en suite d'un arrêté du district, fit procéder à l'arrestation, en son presbytère de Lanhouardon de M. Jestin, accusé de prédications incendiaires. Il fut alors amené à Brest en prison dans la maison dite du "Petit Couvent", chez les sœurs de l'Union Chrétienne.

Nota : En comparant les plans de Brest,  du XVIIIe siècle et ceux d'après 1950, nous pouvons situer le "Petit-Couvent"  dans l'ilot juste derrière le Banque de France. En 1845 il y sera construit le collège Joinville.

Une fois le recteur de Plabennec en prison, il fallut le remplacer. On réunit donc l'assemblée électorale du district de Brest pour élire un nouveau recteur. Le 13 mars 1791, c'est l'abbé Le Caill (qui avait prêté serment à la Constitution) qui fut élu.

Il ne tarda pas à arriver à Plabennec. Dès le 4 avril, il signa les registres de la paroisse. Mais, la municipalité de Plabennec refusa de l'installer dans ses fonctions, déclarant que cela ne pourrait se faire que si l'ancien recteur, M. Jestin démissionnait. L'ensemble de la paroisse pensait la même chose. Or, bien évidemment M. Jestin refusait de démissionner. Désormais, il n'alla pratiquement personne à l'église. Les baptêmes et les mariages étaient faits dans l'ombre par un prêtre (ayant refusé le serment).

Face à cette réaction, les autorités, par l'arrêté du 21 avril 1791, prirent une décision permettant de recourir à la force pour installer les prêtres constitutionnels. Aussitôt, la municipalité de Plabennec fut avisée que le dimanche 1er mai, l'installation aurait lieu, dût-on même pour cela recourir à la force publique.

Les autorités du district de Brest espéraient que cet avis aurait eu raison de l'opposition de Plabennec. Il n'en fut rien. Les commissaires délégués du district, à qui s'étaient joints des membres de la "Société des amis de la Constitution", plus quelques gardes nationaux de la compagnie des dragons (le tout faisait environ 60 personnes) arrivèrent à Plabennec, au bourg, à l'heure même de la célébration des offices religieux. Ils ne trouvèrent personne pour les recevoir.

Ils se rendirent alors à l'église et y trouvèrent un prêtre anticonstitutionnel en train de dire sa messe en présence d'une trentaine d'individus qui se précipitèrent vers l'autel pour permettre au prêtre de terminer sa messe. Les autres fidèles, dont le conseil municipal et le maire s'étaient empressés de sortir de l'église dès que l'arrivée des commissaires leur avait été annoncée. (Il ne faut pas s'étonner de trouver là un prêtre insermenté car M. Le Caill avait dû partir au bout d'un certain temps, l'opposition étant trop forte).

Les commissaires décidèrent alors de différer l'installation du nouveau recteur. Mais ils ne restèrent pas inactifs. Durant l'après-midi, ils destituèrent le conseil municipal en place. Puis ils réussirent à réunir quelques notables de la commune qui acceptèrent de remplir provisoirement les fonctions d'officiers municipaux. Et enfin, ce conseil municipal provisoire souscrivit l'engagement de procéder le dimanche suivant, le 8 mai, à l'installation du curé élu.  Étant parvenus à un accord, les commissaires et les soldats s'en retournèrent à Brest. Mais la pression des paroissiens était vraiment trop forte : dès le lendemain, la municipalité provisoire rétractait l'engagement souscrit par elle.

Quinze jours plus tard, la nouvelle se répandit à Brest que la commune de Plabennec était en pleine insurrection. Du coup, les commissaires délégués du district de Brest se mirent vraiment en colère. Ils demandèrent alors au directoire du district de faire marcher des troupes contre la commune rebelle. Le district refusa car il venait d'envoyer à Plabennec des commissaires conciliateurs et qu'il voulait attendre leur retour avant d'entreprendre quoi que ce soit.

La municipalité de Brest outrepassa alors ses pouvoirs, et, sans tenir compte de l'avis du directoire du district, elle demanda au commandant de la marine de mettre à sa disposition 100 hommes armés. A ces hommes on adjoint 100 soldats de la garnison de Brest, plus 200 gardes nationaux et 50 canonniers conduisant deux pièces de canon. Cela faisait donc 450 hommes de troupe. Cette troupe se mit en marche le 18 mai, à 4 h du matin.

Les paysans de Plabennec prévenus qu'une troupe se dirigeait vers le bourg de Plabennec détruisirent alors le pont à Roudoulevry (qui se trouve à la Gare) pour retarder le passage des canons et des hommes. Une fois le pont brisé, les paysans se réunirent tous au bourg. Face à la détermination des Plabennecois, les soldats ne désarmèrent pas. On utilisa alors le canon. Plusieurs coups de canon à grande volée furent tirés. Cela intimida tout de même les paysans de Plabennec qui n'étaient armés que de fourches, bâtons et quelques mauvais fusils de chasse. Plusieurs commissaires du district s'avancèrent, et après quelques pourparlers, les paysans déposèrent les armes et livrèrent l'abbé Quénéa, accusé d'être l'instigateur des troubles.

  Alphonse PETON AR C'HORN-BAUD N° 5  - 1991
Christian Souchon a trouvé dans la collection de JM de Penguern (1807-1856) un chant relatif aux évènements du 23 février 1791 ayant marqué l'histoire de Plabennec.

Gwerz sur l'arrestation du Recteur Jestin de Plabennec à l'adresse suivante : http://chrsouchon.free.fr/chants/plabenne.htm

  [Retour à Plabennec] ou [Retour à l'accueil]